Margaritis Schinas, le porte-parole de la Commission
Le torchon brûle depuis plusieurs mois entre les médias et la Commission européenne. Les incidents en salle de presse, lors du point de presse quotidien organisé à midi par la Commission, sont de plus en plus fréquents au point qu’on peut parler de guerre ouverte.
Le dernier en date remonte au 15 juin. Interrogé sur la volonté du ministre allemand de l’Intérieur, Horst Seehofer, de renvoyer dans le pays de première entrée dans l’Union les demandeurs d’asile se présentant aux frontières allemandes, le porte-parole en titre de la Commission, le Grec Margaritis Schinas, s’est contenté de lire l’article 13 du Règlement de Dublin : « s’il est établi que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière ». Ce qui n’est évidemment qu’une réponse très partielle. Pressé de questions, Schinas s’est contenté de répondre qu’il avait déjà répondu...
Un journaliste italien, Lorenzo Consoli, a alors laissé éclater sa colère avant de quitter la salle de presse : « on vous paie pour quoi ? Vous n’apportez aucune réponse. Vous devez nous répondre, vous êtes la Commission. Nous vous demandons ce que signifie l’article 13, bon sang ! (…) Si vous avez peur de répondre parce que vous avez peur de l’Allemagne, vous ne pouvez pas être le porte-parole de la Commission. Qu’est-ce vous foutez ici ! » Réponse agacée de Schinas : « nous apprécions que vous partagiez votre état d’esprit avec nous. J’ai lu l’article 13, vous êtes libre de l’interpréter dans le contexte qui vous convient le mieux, mais je ne le ferais pas ici ». Un comble pour une institution qui est justement chargée de veiller au respect du droit européen. L’affaire ne s’est pas arrêtée là, d’autres journalistes prenant alors le relais contre ce refus de répondre « à des questions légitimes ». C’était tellement spectaculaire que Brut en a fait une vidéo...
Les incidents ont été nombreux ces derniers mois. Ainsi pendant toute la durée de l’affaire Selmayr, la nomination contestée du chef de cabinet de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, au poste de secrétaire général, les porte-paroles ont soit refusé de répondre, soit ont sciemment menti. Pour ma part, je me suis fait traiter de « Robespierre » pour avoir osé insister (les vidéos de mes affrontements avec la Commission ont circulé sur Twitter). Au quotidien, la politique de communication est devenue un enfer pour les journalistes, celle-ci ayant à cœur de rendre le plus difficile possible leur travail. Parmi ses méthodes favorites : multiplier les annonces le même jour ou la même semaine pour empêcher les médias de toutes les traiter, distribuer les documents au dernier moment, et de préférence uniquement en anglais, pour que les journalistes ne puissent pas poser les bonnes questions. Le but ? Les contraindre à reprendre le « storytelling » de la Commission.
Le grand ordonnateur de cette politique de « communication » n’est autre que Martin Selmayr, l’âme damnée de Juncker et ci-devant secrétaire-général-chef de cabinet-sherpa. Car tout ce qui se dit en salle de presse doit recevoir l’aval de l’omnipotent Allemand. Il n’hésite pas à envoyer des SMS aux porte-paroles durant le point de presse pour leur dire que répondre aux questions embarrassantes… Et comme c’est un adepte de la langue de béton et du mensonge, le résultat est un exercice digne d’une conférence de presse de Brejnev. L’Association de la presse internationale (API) a rencontré Schinas cette semaine pour se plaindre de ces mauvaise méthodes. La réponse en substance: «nous sommes le meilleur service du porte-parole de l’univers connu, Lorenzo Consoli veut juste faire du Buzz et Quatremer règle des comptes personnels» (lesquels? Mystère). Bref, circuler, il n’y a rien à voir, rien à entendre, rien à dire.
Mais les mauvaises méthodes n’ont qu’un temps : la dernière année du mandat de Juncker s’annonce comme une lente, mais méthodique, descente aux enfers avec plus de 1000 journalistes accrédités lassés d’être ainsi maltraités.
N.B.: sur le même sujet, lisez le papier de mon confrère de Contexte, Jean-Sébastien Lefebvre.