Les commentaires ont disparu de ce blog sans que je ne parvienne à savoir pourquoi. Ce n’est évidemment pas ma décision. Je vous tiens informé.
Le service web de Libé me dit que c’est l’ensemble du site qui est touché. Ils sont dessus!
La médiatrice européenne enfonce un clou supplémentaire dans le cercueil de Jean-Claude Juncker et de la Commission qu’il préside. Saisie par des députés européens, notamment les socialistes français, l’Irlandaise Emily O’Reilly estime, dans une recommandation rendue publique ce matin, que la promotion, le 21 février 2018, de Martin Selmayr, le chef de cabinet du président de l’exécutif européen au poste de secrétaire général de la Commission, le plus haut poste administratif à Bruxelles, a violé à la fois « l’esprit et la lettre » du statut de la fonction publique européenne, la procédure ayant été « manipulée ».
« Il a quelque chose d’ironique » dans cette magouille technocratique, note pince-sans-rire, Emily O’Reilly, « le président Juncker (ayant) été le premier président de commission élu en vertu du processus démocratique des « SpitzenKandidaten » », la tête de la liste arrivée en tête aux élections européennes étant automatiquement élue président, justement « pour contrecarre l’idée que l’Union européenne est dirigée par des fonctionnaires non élus ». De fait, la recommandation de 39 pages, qui confirme l’ensemble des révélations de Libération, est un véritable réquisitoire contre une Commission qui semble être tombée entre les mains d’un eurocrate peu scrupuleux.
Le travail des services du médiateur européen, dont les bureaux sont à Strasbourg, s’est déroulé dans des conditions pour le moins hostiles : pour avoir accès aux documents demandés, les enquêteurs ont été obligés de répéter à de multiples reprises leurs requêtes, de laisser leur smartphone à l’extérieur de la pièce où ils étaient consultables et de travailler sous la surveillance constante d’un vigile… Néanmoins, ils ont réussi à reconstituer quasiment heure par heure le processus qui a permis à Martin Selmayr d’organiser sa promotion à un poste auquel il ne pouvait être directement nommé, n’ayant pas la fonction administrative suffisante, et surtout pour éviter que quiconque puisse se mettre sur son chemin.
Tout part de la décision (volontaire ou pas, on ne le saura jamais) du secrétaire général sortant, le Néerlandais Alexander Italianer, de prendre sa retraite le 1ermars 2018, alors même qu’il n’occupe ce poste que depuis septembre 2015 et qu’il n’a que 61 ans. Une décision connue seulement de Juncker et de Selmayr et gardée secrète jusqu’au bout. Ce sont ces deux hommes qui décident fin 2017 que le meilleur candidat pour succéder à Italianer est justement Selmayr en personne… Reste à organiser cette promotion en l’habillant légalement.
Le 31 janvier 2018, la Grecque Parasquevi Michou, secrétaire générale adjointe (SGA), est opportunément nommée, à la suite d’une procédure expresse, directrice générale (DG) pour les migrations et les affaires intérieures avec effet au… 1ermars. Un délai pour le moins étrange, note la médiatrice : puisque rien ne pressait, pourquoi ne pas l’avoir nommé le 21 février suivant, en même temps qu’était annoncée toute une série de nominations, dont celle de Selmayr ? Plus choquant : le commissaire chargé des migrations et des affaires intérieures, Dimitris Avramopoulos, étant lui-même Grec ne pouvait avoir comme DG quelqu’un de sa nationalité comme le prévoit une règle interne à la Commission. « En 14 ans et plus de 100 directeurs généraux nommés », note la médiatrice, la règle n’a jamais été enfreinte. Sauf le 31 janvier. Pire : l’un des membres du « Comité consultatif des nominations » (CCN), chargé de donner son avis sur la promotion de Michou, n’est autre que Selmayr en personne, ce qui constitue un « conflit d’intérêts » direct puisqu’il sait que la promotion de Michou est nécessaire pour qu’il puisse concourir sur son poste. En effet, le passage par la case « secrétaire général adjoint » est nécessaire, car il n’est que « conseilleur principal », une fonction insuffisante pour devenir directement secrétaire général : seuls les directeurs généraux, les directeurs généraux adjoints (et donc les secrétaires généraux adjoints) peuvent être promus à un tel poste.
Selmayr se porte donc candidat dans la foulée de la promotion de Michou. Il n’y a qu’une autre candidate, en l’occurrence Clara Martinez, la cheffe de cabinet adjointe de Selmayr (la médiatrice ne la nomme pas). Ce qui tombe bien : il faut, pour clore l’appel à candidatures, au minimum deux candidatures, dont une femme. La veille de la réunion du collège du 21 février, qui doit nommer le nouveau SGA, Clara Martinez retire sa candidature. Quelques heures après, Selmayr a, selon la procédure, un entretien avec Juncker et Gunther Oettinger, le commissaire chargé de l’administration, au terme duquel il est confirmé qu’il sera nommé le lendemain SGA.
Lorsque les commissaires arrivent en réunion, le mercredi matin, aucun d’eux ne sait que le secrétaire général sortant allait démissionner et Selmayr lui succéder. L’affaire est vite bouclée : les commissaires acceptent que le chef de cabinet devienne SGA, Italianer annonce sa démission avec effet au 1ermars à la surprise feinte de Juncker qui propose alors de nommer le nouveau promu Selmayr au poste de secrétaire général afin d’éviter toute vacance. Et voilà. Le problème est que toute la procédure a été, comme on l’a vu, manipulée. La médiatrice a même mis la main sur un document préparatoire à la réunion du 21 février, écrit 10 minutes avant que Martinez n’annonce sa décision de se retirer, dans lequel il est expliqué que Juncker propose le « SGA Martin Selmayr » au poste de secrétaire général… La médiatrice estime au passage que la non-publication du poste de secrétaire général, ce qui a empêché toute autre candidature, est contraire à toutes les règles de la fonction publique européenne.
Pour la médiatrice, « aucune raison valide n’explique le secret qui a entouré le départ à la retraite de M. Italianer » si ce n’est d’assurer que personne ne viendrait contrecarrer la nomination de Selmayr et pour créer un « sentiment d’urgence artificiel » empêchant les commissaires de comprendre ce qui se passait. Emily O’Reilly estime même que les capacités de Selmayr peuvent être interrogées : le procès-verbal du collège justifie, en effet, sa nomination par la « contribution remarquable » qu’il a apporté à la campagne électorale de Juncker et à son action en tant que chef de cabinet, ce qui « ne constitue pas une base » pour le recruter… Elle note enfin que Selmayr semble ne pas avoir renoncé à diriger le cabinet de Juncker depuis sa promotion, une situation profondément anormale et malsaine selon elle.
La médiatrice prend soin d’épingler l’ensemble de la Commission : « le collège des commissaires est collectivement responsable de la mauvaise administration dans cette affaire. Il est surprenant qu’aucun commissaire n’ait remis en question la procédure de nomination du secrétaire général » alors que la manipulation se déroulait sous leurs yeux. Le SelmayrGate emportera-t-il la Commission Juncker même si la médiatrice, dont ce n’est pas le rôle, ne demande aucune démission? En mars 1999, une telle mise en cause avait poussé la Commission, alors présidée par Jacques Santer, à la démission : un comité d’experts indépendants avait, en effet, estimé que les commissaires avaient été incapables de contrôler leur administration, ce qui avait notamment permis à la commissaire française, Édith Cresson, de distribuer plusieurs emplois fictifs (une affaire déjà révélée par Libération). Mais l’indifférence totale affichée par la Commission Juncker à la résolution du Parlement européen du 18 avril dernier qualifiant la nomination de Selmayr de « coup de force » et demandant une réouverture de la procédure montre que les temps ont changé. Pour le pire : depuis, la Commission a nommé deux secrétaires générales adjointes au terme d’une procédure tout aussi manipulée.