Le Bénin amorce sa transition climatique dans une situation socio-économique délicate avec un contexte de crise énergétique particulièrement sévère malgré les nombreux efforts déployés depuis plusieurs décennies. La solution semble pourtant à portée de main.
« “Gnounpkotin'' (feuille de jatropha en langue Fon), oui je connais bien cette plante. Il existe deux variétés, l'une dite blanche et l'autre rouge. C'est une plante très utilisée dans mon village pour ses nombreuses vertus médicinales » : rétorque Adjaba Jérôme, un quinquagénaire conducteur de taxi-moto qui rallie Cotonou chaque début de semaine pour gagner son pain quotidien. Et de continuer en renchérissant : « Il est aussi utilisé dans les rituels Vaudoun et sert à conjurer le mauvais sort ». Comme des milliers d'autres béninois, Jérôme ignore que le jatropha est un biocarburant. Bien qu'étant toxique, le jatropha curcas est une euphorbiacée originaire du Brésil. Une autre plante de la même famille est exhibée par Zogbanou, une vieille vendeuse de plantes médicinales qui explique : « Le ricin “gogozokwinon'' (fon) ou lakpalakpa, adetelara (yoruba/nago) est un anti-inflammatoire aux propriétés siccatives ».
Ces deux plantes bien connues du commun des béninois renferment un trésor.
Ainsi d'après les sérieuses études du Ministère de l'Energie, des Recherches Pétrolières et Minières, de l'Eau et du Développement des Energies Renouvelable(MERPMEDER) à travers sa « Stratégie et Plan d'Actions pour la Promotion des Filières de Biocarburants au Bénin », le jatropha et le ricin se révèlent les meilleurs choix des cultures énergiques potentielles aux côtés des graines de coton, du palmier à huile, de l'arachide et du soja.
Des avantages comparatifs et peu de contraintes
Le jatropha a un rendement pouvant atteindre 5-6 tonnes par hectare de grains contenant environ 35% d'huile, dans les conditions optimales ; le rendement en huile est d'environ 1,5-2 tonnes à l'hectare. En outre, la culture du jatropha est largement répandue au Bénin et il peut être cultivé sur les terres marginales comme les régions arides et semi-arides, ce qui minimise les risques de concurrence avec l'alimentation.
Quant au ricin, c'est une culture adaptée à la production d'huile et de biodiesel. La culture se pratiquait déjà dans le centre du pays où les conditions climatiques sont favorables à son développement. Sa réintroduction sera donc chose aisée. Sa culture annuelle offre un avantage considérable sur le jatropha qui n'est exploitable qu'après 3-5 ans. Les grains de ricin contiennent entre 40% et 60% d'huile et peuvent donner plus de 1 000 kg/ha dans les conditions optimales. Tout comme le jatropa, l'huile de ricin n'est pas alimentaire.
Les contraintes sont pour la plus part relatives aux facteurs agronomiques et environnementaux sur la production qui ne sont encore maîtrisés. Cependant, ces plantes concourent au développement durable dans les conditions d'une adaptation au transport routier.
10% de mélange à l'horizon 2025 pour réussir la transition écologique ?
Au Bénin, le transport en commun est peu développé. Les véhicules personnels et les motos prennent largement le dessus dans le parc automobile. L'existence de près 140 000 conducteurs de taxi-moto “Zemidjans'' (officiellement enregistrés selon des données fournies par la mairie de Cotonou et d'autres sources locales), mais plus du double si l'on tient compte des clandestins n'arrange guère l'équation. La contrebande de l'essence frelatée “kpayo'' importée depuis le Nigéria voisin est un facteur aggravant la pollution atmosphérique à cause des métaux lourds qu'elle contient. A titre d'exemple, si en 2024, l'Indice de la Qualité de l'Air (IQA), à Cotonou est moyen autour de 21 et la concentration de particules fines PM2.5 oscille entre 10 et 14 µg/m3, des niveaux acceptables selon l'OMS, il faudra se prémunir du pire.
Et pour atteindre cet objectif, on doit combiner avec le marché des véhicules électriques qui devrait connaître une croissance de plus 4,9 % jusqu'en 2025 selon le cabinet d'étude indien Mordor Intelligence, 10% de mélange de biocarburant à l'horizon 2025. En effet, le mélange à 10% est directement utilisable pour la quasi-totalité des véhicules en circulation, hormis les véhicules à carburateur. Au-delà de 10%, des modifications des moteurs s'avèrent nécessaires.
Des gages de développement durable
Par ailleurs, des informations de sources avérées issues du réseau Jatroref (qui s'investit dans les filières agro carburants durables en Afrique de l'Ouest), les possibilités pour les projets jatropha sont nombreuses. A côté de la substitution de carburant, il y a le boisement et le reboisement ainsi que la gestion durable des terres agricoles. Il en est de même pour le tourteau de ricin pur qui est un fertilisant azoté à haute teneur en matière organique. Il est utilisé par les professionnels comme engrais de fond pour l'entretien de toutes les cultures : cultures potagères, gazons et massifs, viticulture, arbres fruitiers…La Politique Nationale de Développement des Energies Renouvelables (PONADER) a d'ailleurs prévu depuis août 2020, un mécanisme de coordination, de financement et de suivi-évaluation pour garantir la pérennité après la mise en applications des projets de bioénergie.
Par Ubrick François Quenum