La Commission promeut une véritable révolution écologique, le mot n’est pas galvaudé, afin de permettre à l’Union européenne d’atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050. Le « Pacte vert européen » (European Green Deal en eurocrate) adopté mercredi 11 décembre ne propose rien de moins qu’un changement radical de logiciel économique impactant toutes les politiques de l’Union, de la politique de concurrence à la politique monétaire en passant par la politique industrielle, la politique commerciale, la politique agricole commune (PAC), le marché intérieur, la politique budgétaire, etc. Si certains secteurs économiques fortement émetteurs de gaz à effet de serre vont souffrir, comme à chaque révolution, il n’y aura pas que des perdants, loin de là : « le Pacte vert, c’est la nouvelle stratégie de croissance de l’Europe », a martèle ainsi la démocrate-chrétienne allemande qui préside l’exécutif européen, Ursula von der Leyen.
Le texte adopté hier par le tout nouveau collège de 27 commissaires n’est pour l’instant qu’une communication de 23 pages qui se contente de décliner les objectifs et les grandes lignes du Pacte vert. La Commission pouvait difficilement faire mieux onze jours après son installation : pour le mettre en musique, il faudra non seulement obtenir la bénédiction de principe des États membres, ce qui s’annonce mouvementé, mais aussi rédiger des dizaines de textes législatifs et réglementaires, textes qui devront être adoptés par le Conseil des ministres (où siègent les Etats), à la majorité qualifiée ou à l’unanimité pour certains, et par le Parlement européen. La Commission se donne donc deux ans pour tout mettre sur la table de négociation. Mais le processus est lancé et on le voit mal s’enliser, les opinions publiques étant fortement mobilisées. Ironiquement, cette révolution verte est lancée par un exécutif qui penche nettement à droite, ne comporte qu’un commissaire apparenté écologiste, et est composée en grande majorité de « OK boomers » honnis... Décryptage.
· Quels sont les objectifs du Pacte vert ?
L’exécutif le martèle. Son Pacte vert, même s’il est encore jalonné de beaucoup de points d’interrogation, instaurera le principe du “Do not harm”, c’est-à-dire qu’aucune politique européenne ne devra faire barrage à la transition écologique. Cette nouvelle vision a vocation à être inscrite dans la législation européenne, à travers un projet qui sera présenté début mars. Cette première “loi Climat” de l’histoire de l’UE entérinera aussi l’objectif de neutralité climatique pour 2050 : à la différence de la neutralité «carbone», elle vise à réduire au maximum les émissions de tous les gaz à effet de serre, et non plus seulement de dioxyde de carbone.
«Notre ligne rouge, au Parlement, est que ce nouveau texte prévoit un objectif relevé de réduction des émissions pour 2030, et qu’il soit d’au moins -55% [contre -40% actuellement, NDLR], souligne Pascal Canfin, eurodéputé Renaissance et président de la commission Environnement du Parlement. L’ensemble de ce processus législatif doit être terminé d’ici octobre 2020 pour que l’UE arrive à la COP26, à Glasgow en novembre, avec une inscription dans la loi d’un nouvel objectif de moyen terme.» D’après les dernières informations données par la Commission, elle n’arrivera pas à respecter ce calendrier. L’étude d’impact, lancée mercredi, sur les conséquences de ces nouvelles ambitions 2030 ne devrait être publiée que fin 2020. L’UE arrivera donc les mains vides à la COP26, pourtant censée être un jalon essentiel de l’application de l’accord de Paris sur le climat.
Sur le volet mobilités, Bruxelles veut rendre les transports propres plus avantageux économiquement, installer un million de bornes de rechargement électrique et à l’hydrogène d’ici 2025, forcer les bateaux dans les ports à couper leurs moteurs en se branchant sur l’électricité, investir dans le développement des trains pour les passagers et les marchandises, et doubler voire tripler le nombre de bâtiments rénovés énergétiquement. De leur côté, les États veulent imposer un principe de “neutralité technologique”. En clair, pouvoir choisir quels secteurs ils soutiennent. On voit facilement la France défendre le nucléaire et l’Allemagne le gaz.
· La Politique agricole commune va-t-elle être impactée ?
Un des volets qui restent les plus nébuleux du « Green Deal » est ce que Bruxelles appelle la “Stratégie de la ferme à l’assiette”. Elle doit être présentée «au printemps». Le commissaire à l’agriculture est bien sous l’autorité de Frans Timmermans, le vice-président de la Commission chargé du Pacte vert, mais la réforme de la PAC, engagée en début d’année étant au point mort, impossible pour la Commission de s’avancer trop précisément. Sa volonté affichée: que 40% de la PAC et 30% du fonds pour la pêche contribue à l’action climatique, via la préservation des sols et la réduction des intrants azotés.
Plus largement, Ursula von der Leyen place la barre haut en annonçant un Plan zéro pollution dans l’eau, l’air et les sols. Un des principaux leviers d’action sera la lutte contre le plastique jetable et la promotion de « l’économie circulaire ». Elle prévoit aussi de revoir les standards de qualité de l’air, pour les aligner sur ceux de l’Organisation mondiale de la santé, ainsi que le lancement d’une nouvelle «stratégie sur l’innovation chimique» et une amélioration des règles d’autorisation des substances potentiellement dangereuses. Pas difficile de voir là le spectre de l’affaire du glyphosate dans laquelle les institutions sanitaires européennes ont été mises en cause. Encore vague, la Commission planche aussi sur un grand plan de reforestation.
· Quel argent pour financer la transition écologique ?
L’argent est évidemment le nerf de la guerre. Car la transition écologique sera particulièrement coûteuse pour les économies fortement carbonées dont une bonne partie se trouve à l’est de l’Europe. Ce sont d’ailleurs la Pologne, la République tchèque et la Hongrie qui ont refusé, en juin dernier, l’objectif proposé par la précédente Commission présidée par Jean-Claude Juncker, d’une neutralité carbone en 2050. De fait, peut-on demander à des économies en rattrapage de faire davantage de sacrifice que les pays d’Europe de l’Ouest qui, eux, ont joyeusement pollué durant le XXe siècle. Bref, sans solidarité financière, le Pacte vert restera lettre morte.
Ursula von der Leyen l’a bien compris : elle veut que la transition écologique soit socialement juste et propose donc un « mécanisme de la Transition juste » qui serait doté d’un fonds de 100 milliards d’euros sur sept ans dont les bénéficiaires restent à déterminer. Problème : ce fonds sera intégré au cadre financier pluriannuel européen (2021-2027) qui est dans l’impasse, car les pays riches veulent réduire leurs versements... Une bataille de chiffonnier qui n’a pas grand sens quand on sait que, selon la Commission, l’inaction climatique aura un coût faramineux de 200 milliards d’euros par an pour l’économie européenne pour faire face aux conséquences du changement climatique (si le réchauffement atteint + 3 degrés). La solidarité financière ne se limitera pas au budget communautaire stricto sensu. En janvier, la Commission va proposer un plan d’investissement pour une Europe durable qui est censé permettre, via une mise de fonds minime et la mobilisation de la Banque européenne d’investissement (BEI), qui devenir la Banque du climat, de lever 1000 milliards d’euros sur dix ans. Pour rappel, le plan Juncker destiné à relancer l’investissement a permis de lever près de 400 milliards d’euros sur cinq ans à partir d’un fonds de garantie de 16 milliards d’euros financé par le budget européen et d’une contribution de 5 milliards d’euros de la BEI… Sur un autre plan, la Commission va examiner la possibilité de sortir les investissements en faveur du climat du déficit public.
· L’économie européenne risque-t-elle d’en pâtir?
Réformer l’industrie européenne, ce qu’elle prévoit de faire massivement dans le secteur de l’acier, signifiera une perte de compétitivité par rapport au reste de la planète. Pour pallier cela, elle a imaginé un «mécanisme d’ajustement aux frontières». La taxe carbone qui est dans les sables est, pour l’instant, mise de côté. L’idée de ce mécanisme est d’imposer une taxe aux produits entrant dans l’Union. Ce surcoût serait calé sur le prix du CO2 sur le marché carbone européen. Sans que l’on sache comment, von der Leyen compte aussi offrir des exemptions aux États les moins responsables du dérèglement climatique, mais qui font des efforts. L’Inde, par exemple, pourrait-elle être concernée? La Commission botte en touche.
Sur le plan commercial, le Green Deal prévoit de faire du respect de l’accord de Paris une clause sine qua non des accords de libre-échange, au même niveau que le travail des enfants et l’interdiction des armes de destruction massive. Bruxelles ne sait pas encore si cette mesure concernera seulement les nouveaux accords ou sera rétroactive. Aucun pays ne respectant pour l’instant l’accord de Paris, cela veut-il dire qu’aucun nouvel accord ne sera conclu? Silence au bout de la ligne.
· Quelles sont les forces en présence ?
La première bataille s’annonce rude et elle aura lieu dès jeudi lors du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement réuni à Bruxelles. En effet, les pays d’Europe de l’Est craignent d’être les principaux perdants de ce Pacte vert et ils vont le faire savoir. D’où l’importance des compensations financières, mais aussi de l’assistance technique qui devra leur être fournie pour les aider à effectuer leur transition énergétique. Mais ils ne sont pas les seuls à avoir des réserves : l’Allemagne, qui a renoncé unilatéralement au nucléaire, est aussi fortement dépendante du charbon, tout comme l’Espagne. Or, il faut l’unanimité du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement pour lancer le Pacte vert, puis ensuite une majorité qualifiée d’États (55 % des pays représentant 65 % de la population), voire l’unanimité dans le domaine fiscal, pour adopter les lois européennes…
Ensuite, les secteurs économiques les plus impactés vont aussi faire de la résistance : automobile, transport routier, aviation, industrie chimique, agriculteurs, etc. Et ils trouveront d’efficaces étatiques, comme l’Allemagne qui a déjà montré qu’elle sait défendre son industrie automobile.
Enfin, des bras de fer sont à attendre avec les partenaires commerciaux de l’Union si elle veut imposer l’équivalent d’une taxe carbone aux frontières.
N.B.: article cosigné avec Aude Massiot, la spécialiste environnement de Libé.
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La Commission a une apparence, une administration publique européenne au service des citoyens, une réalité, une vaste machine à promotion des copains et des coquins. Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de l’exécutif européen, vient d’en faire une nouvelle fois la démonstration en bombardant l’un de ses très proches, Jens Flosdorff, un homme charmant au demeurant, conseiller en communication de son cabinet avec rang de directeur général adjoint (DGA) de grade AD15, soit l’une des plus hautes fonctions (il n’y a que directeur général au-dessus) et des plus haut grade (AD16 est le maximum) de la fonction publique communautaire.
C’est une véritable fonction de vice-roi que va occuper Flosdorff au sein du cabinet de von der Leyen : ce n’est pas un hasard s’il a le même grade que le chef de cabinet, Bjoern Seibert, un autre très proche qui occupait le même poste au ministère de la défense allemand, celui-ci ayant cependant le rang de directeur général (une pratique instaurée par José Manuel Durao Barroso pour donner au chef cab l’autorité nécessaire). Flosdorff va donc émarger à environ 17000 euros par mois (soit plus qu’un ministre fédéral allemand)… Pas mal pour un ancien journaliste du quotidien populaire Bild qui ne connait strictement rien aux affaires européennes et qui n’a comme mérite que de suivre von der Leyen depuis une quinzaine d’années dans les mêmes fonctions.
Non seulement c’est la première fois qu’un simple communiquant est aussi choyé, mais c’est aussi la première fois qu’un président de la Commission s’offre le luxe d’un tel conseiller. Normalement ce rôle est tenu par le chef du service du Porte-Parole (SPP) qui gère non seulement la communication du président, mais celle de tous les commissaires via une équipe de porte-paroles et « d’officiers de presse », les petites mains qui font le boulot au quotidien. Mais von der Leyen a décidé de dédoubler la fonction entre, d’une part, le français Eric Mamer, chef officiel du SPP, mais qui n’a rang que de directeur (certes payé AD15), et, d’autre part, Flosdorff qui le coiffe puisqu’il a rang de DGA.
Pourquoi une telle solution qui coûte cher au budget communautaire (à eux deux, ils vont toucher deux millions d’euros de salaire sur cinq ans) ? Tout simplement parce que Flosdorff ne pouvait pas occuper le poste de chef du SPP, car il ne parle pas français, une condition sine qua non, les deux langues de la salle de presse étant l’anglais et le français. Autrement dit, il n’avait pas les qualifications requises. Qu’importe donc, Ursula von der Leyen a su trouver une solution imaginative pour trouver une place à son protégé !
Quel sera exactement le rôle de Flosdorff, sachant que la gestion quotidienne du SPP sera assurée par Éric Mamer et son adjointe, la Roumaine Dana Spinant ? On ne voit guère, si ce n’est parler à la presse allemande, ce qu’il fait d’ailleurs très bien selon mes confrères. Mais 17.000 euros par mois, n’est-ce pas exagéré dès lors qu’il s’agit d’argent public et quand on sait qu’une partie de plus en plus grande des tâches de l’exécutif européen sont assurées par des contractuels sous-payés faute de budget suffisant ?
En réalité, ce sont les mauvaises manières instaurées par Martin Selmayr, l’ancien secrétaire général de la Commission, qui se poursuivent. Quoi d’étonnant lorsqu’on constate que la conseillère que von der Leyen a chargé de l’administration dans son cabinet est la Bulgare Jivka Petkova, une proche de Selmayr qui l’avait imposé dans l’équipe de transition de la nouvelle présidente. En la conservant auprès d’elle, celle-ci a vite compris le parti qu’elle pourrait en tirer, comme le montre le job en or dont hérite Flosdorff…
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