Vous ne risquez pas de croiser Ursula von der Leyen dans les rues de Bruxelles. La présidente désignée de la Commission européenne a, en effet, décidé de s’enfermer jours et nuits dans le bunker du Berlaymont, le nom du bâtiment en étoile où se trouvent notamment les bureaux des 27 commissaires. Comme je l’avais annoncé le 16 septembre, elle a bien décidé de se faire installer un studio de 25 m2 contigüe à son bureau du 13ème étage pour y vivre. Elle ne quittera donc le bâtiment que pour ses voyages officiels ou pour rentrer le week-end à Hanovre retrouver sa famille… On a connu plus ouvert sur le monde.
Jusqu’à présent, les responsables européens vivaient en ville (Jean-Claude Juncker avait opté pour une petite suite dans un hôtel) tout comme les fonctionnaires ou les députés, la tradition des logements de fonction étant étrangère à l’Union. Celle-ci a préféré depuis sa création verser à ses dirigeants des indemnités de résidence. Ainsi, le président de la Commission, qui est déjà confortablement payé 27.903,32 euros brut par mois (soumis à l’impôt communautaire), reçoit en plus une indemnité mensuelle de 4.185,50 euros et une autre pour ses menus frais de 1.418,07 euros.
Jacques Delors, en son temps, avait refusé que les autorités belges lui « reconstruisent » un hôtel particulier signé Horta qu’elles avaient démontées et conservées dans la banlieue bruxelloise pour faire place à la furie de la spéculation immobilière locale. Pour cet ancien président de la Commission (1985-1995), il n’était pas question de se couper du monde extérieur. D’ailleurs, on pouvait le croiser régulièrement dans les restaurants bruxellois, dont le Poux qui tousse…
Autant dire que le choix de von der Leyen fait tousser, justement, à Bruxelles, l’argument de la sécurité ou du trafic avancé par son entourage ne tenant guère : ses prédécesseurs ont tous survécu à la vie bruxelloise et rien ne l’oblige à vivre à dix kilomètres de la Commission. L’Europe, c’est déjà une « bulle » largement coupée des réalités. Mais s’enfermer 24 heures sur 24 dans l’atmosphère climatisée et aseptisé du Berlaymont, c’est créer une bulle dans la bulle. Cette décision est d’autant plus hallucinante que le bâtiment n’a pas été conçu pour y vivre : les fenêtres ne peuvent que s’entr’ouvrir à cause de la climatisation, il n’y a ni balcon, ni espace vert. En outre, il n’est pas possible d’y cuisiner pour des questions de sécurité, sauf dans les espaces dédiés des salles de restaurant du 13ème étage, ce qui semble signifier que von der Leyen aura recours au service des cuisiniers de l’institution…
De même, il n’y a qu’une entrée hyper sécurisée qui est généralement fermée la nuit. La présence permanente de la présidente va imposer du personnel de sécurité supplémentaire en dehors des simples gardiens de nuit pour ne pas l’enfermer dans le bâtiment si jamais il lui prend l’envie d’aller se dégourdir les jambes, de se faire livrer une pizza (le livreur n’aura pas accés au bâtiment, bien évidemment), voire d’aller diner en ville, sait-on jamais… Jusqu’à présent, les commissaires se débrouillaient seuls pour se faire la cuisine et les gardes de sécurité n’étaient pas obligés de rester la nuit.
On imagine que le budget de l’Union européenne sera mis à contribution pour financer les travaux, le recours aux cuisiniers et la sécurité, mais qu’elle renoncera en contrepartie à son indemnité de logement. Mais, en première analyse, le recours à du personnel supplémentaire coûtera plus cher au contribuable.
Cet enfermement inquiète les eurocrates qui commence à se demander s’ils n’ont pas à faire une personnalité souriante à l’extérieur, mais paranoïaque à l’intérieur, une sorte de Docteur Jekyll and Mister Hyde. Un haut fonctionnaire de la Commission n’y va pas par quatre chemins : « elle est dingue de s’enfermer ainsi dans ce bâtiment inhumain ». Ses collaborateurs directs seront soumis à une pression terrible, puisque la présidente sera par définition toujours la première et toujours la dernière au bureau. Déjà, cette femme matinale exige une revue de presse à 7h30 alors que Jean-Claude Juncker se contentait de la recevoir à 10 heures Entrer dans son cabinet, ce sera signer pour 5 ans sans voir le soleil. L’entre soi qui s’annonce ne va pas améliorer l’image déjà dégradée de la Commission.