Il y a presque douze ans, en février 2007, la crise des « subprimes » éclatait aux États-Unis. Dix-huit mois plus tard, elle a entrainé l’Europe dans la plus grave crise financière, bancaire et économique depuis 1929, une crise dont elle mettra huit ans à sortir et dont les stigmates sont toujours présents. Sommes-nous à la veille d’un choc de même ampleur ? Sans doute pas. Mais une nouvelle fois, l’Europe, largement dépendante de la locomotive américaine, va souffrir : non seulement elle ne dispose pas de relais suffisants de croissance, mais ses faiblesses structurelles la rendent particulièrement vulnérable aux chocs externes.
« La crise américaine qui s’annonce ne sera pas de même nature qu’en 2007 », souligne Philippe Waechter, économiste chez Ostrum Asset Management. Cette fois-ci, la crise ne sera pas financière et bancaire, mais avant tout économique : les États-Unis risquent d’être confrontés à une récession dans les 12 à 18 mois qui viennent. C’est du moins la conviction des marchés, comme le montre l’inversion en cours de la courbe des taux : dans peu de temps, il sera plus cher d’emprunter à 2 ou 5 ans qu’à 10 ans, alors que cela devrait être l’inverse. Cela indique que les investisseurs pensent qu’il y a un risque de tempête à court terme.
Cette conviction doit essentiellement à la politique de Donald Trump. En particulier, la guerre commerciale tout azimut déclenché par le président américain, mais aussi les tensions diplomatiques causées par son unilatéralisme agressif, commencent à produire des effets délétères sur le commerce mondial. Un indicateur ne trompe pas : après une croissance du trafic des conteneurs, qui représente 80 % des biens échangés dans le monde, de 6 % en 2017, elle n’est plus que de 2 % en 2018. Ce qui entraine mécaniquement une baisse des investissements, la confiance dans le commerce mondial diminuant. Autre élément inquiétant qui, lui, n’est pas imputable à Trump : la normalisation de la politique monétaire de la Réserve fédérale, dont les taux sont passés de 0 à plus de 2%, a des effets déstabilisateurs sur les pays émergents, les capitaux placés chez eux étant rapatriés aux États-Unis, ce qui impactera leur croissance et partant la croissance mondiale.
Le problème, pour l’Union, est que son activité économique n’est pas folichonne (2,1% en 2018 pour la zone euro contre 2,4 % en 2017 et moins de 2% espérés en 2019) et qu’elle est donc exposée au moindre coup de vent extérieur : « si la croissance reste à 4 % en Asie, il est clair que l’Europe n’a pas beaucoup d’atouts pour attirer les investisseurs », tranche un économiste de l’OCDE. D’autant qu’elle est totalement « absente de la guerre technologique que se livrent les États-Unis et la Chine », souligne Philippe Waechter, « ce qui est très inquiétant sur le long terme ».
Autre facteur de risque pour l’Union, les incertitudes politiques qu’elle accumule comme à plaisir : crise des gilets jaunes en France ; poussée de partis d’extrême droite ou démagogiques partout, ce qui pourrait se traduire par un Parlement européen ingouvernable en mai 2019 et une Commission gravement affaiblie ; renouvellement de la moitié du directoire de la Banque centrale européenne et bien sûr le Brexit qui constituera un choc plus ou moins brutal selon qu’il sera avec accord ou pas…
Enfin, l’Union et surtout la zone euro ne sont pas dotées d’une autonomie de décision leur permettant de répondre à un choc économique. En effet, ce sont les États qui dictent la marche à suivre et en particulier l’Allemagne qui a imposé sa vision de la politique économique durant la crise de 2010-2012. En clair, Berlin s’opposera fermement, y compris en s’emparant des leviers du pouvoir à la Commission et à la BCE, à toute politique budgétaire accommodante pour faire face au choc qui s’annonce, ce qui va aggraver ses effets et déstabiliser davantage la zone euro à son profit, l’Allemagne apparaissant comme le seul pays vraiment sûr pour les marchés…
Seules bonnes nouvelles pour l’Europe : l’union bancaire a permis un considérable renforcement des banques de la zone euro, ce qui leur permettra d’absorber un choc équivalant à celui de 2007, et le prix du pétrole restera bas pour longtemps. Deux airbags, c’est peu pour éviter les effets du ralentissement à venir.
N.B.: article paru dans Libération du 27 décembre